Le samedi 21 décembre 2024, j’ai pris part à l’inauguration d’une bibliothèque à Gadomé (Garome en OUSG), à environ 70 km du Campus d’Abomey-Calavi. Construite sur fonds propres à près de 30 millions CFA, elle a été offerte par le Professeur H.B.C. Capo à sa communauté. Par conséquent, elle est baptisée « Bibliothèque CAPO Hounkpati « . Cet évènement est une occasion que je saisis pour parler non pas du donateur, mais du Professeur. Qui est le Professeur Capo ? Je vous invite à le découvrir dans ce portrait scientifique que j’ai publié, comme hommage anthume, dans le magazine du cinquantenaire de l’Université d’Abomey-Calavi en 2022. Mais avant, je peux déjà vous dire qu’il est le premier Professeur titulaire de linguistique de l’espace CAMES, grade obtenu en 1993. Je pourrais préciser que pour évaluer son dossier de candidature, il a fallu l’envoyer en France, faute d’évaluateur qualifié à l’époque dans cet espace. Tout ça, vous le découvrirez en détails dans ce portrait scientifique. Bonne lecture !

Il fait partie de la première promotion de l’Université du Dahomey, créée le 06 novembre 1970, devenue successivement Université Nationale du Bénin (UNB) en 1975 et Université d’Abomey-Calavi (UAC) en 2001. Il soutient le premier mémoire de maîtrise de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines (FLASH)… Il a pratiquement la même histoire que la première université du Bénin qui célèbre aujourd’hui son cinquantenaire. C’est certainement un bon prétexte pour brosser le portrait scientifique de cet universitaire dont j’ai confondu, il y a une dizaine d’années, le mémoire de maîtrise à une thèse d’Etat. « Est-ce une thèse d’Etat ? », avais-je demandé, en le voyant ouvrir un document d’un volume considérable. J’étais vite excusé, car ce mémoire faisait 556 pages… Admis à la retraite depuis un an, le Professeur Hounkpati B. C. Capo devrait être en train de fêter également son jubilé, dans sa résidence de Garome qui abrite, à environ 70 km de Cotonou, le célèbre Laboratoire International Gbe, appelé simplement Lobo Gbe.


Inscrit au Département des Etudes Littéraires, Linguistiques et des Sciences Humaines (DELLSH), il y obtient sa Licence en 1974. Un an plus tard, alors que son mémoire de maîtrise était suffisamment avancé, il est recherché pour avoir présenté un exposé sur le thème « Qu’est-ce que le marxisme léninisme ? » Il prend le large et se retrouve à Accra au Ghana. Il se souvient encore clairement, comme si c’était hier, de la façon dont il a pu échapper à la police ce jour-là. Les policiers étaient venus le chercher au Cours secondaire Léon Bourgine de Porto-Novo où il s’était fait embaucher. Il y était, mais comme il n’était pas plus grand que la plupart des élèves et qu’il portait exprès une culotte, ils n’ont pas pu le reconnaître…


Expériences ghanéennes


À Accra, Hounkpati B. C. Capo comptait bien poursuivre ses études. Même s’il n’avait pas encore soutenu son mémoire de maîtrise, il avait déjà sa licence en poche. Malheureusement, les choses n’étaient pas aussi simples qu’il l’espérait…


Le Département de Linguistique de l’Université du Ghana (Legon) est réticent au début pour inscrire ce jeune étudiant venant d’un pays francophone. Finalement, il est autorisé à suivre des cours en tant que « occasional student » (auditeur libre). Il suit des cours du premier cycle « undergraduate » comme ceux du second cycle « graduate » afin de se familiariser avec l’anglais.
Il découvre, émerveillé, qu’en dehors de l’anglais, il pouvait échanger avec les étudiants ewe en wací. C’était une découverte importante pour quelqu’un dont le mémoire de linguistique en cours de rédaction était intitulé « Une étude phonologique comparée du wacígbe et du gengbe ». En suivant plus tard un cours de structures de l’ewe, il obtient des notes plus élevées que celles de ses camarades ewe. « J’étonnais mes camarades et l’enseignant à tel point que ce dernier me demanda un jour si j’avais déjà suivi un cours pareil dans mon pays. »


Sur la base de sa licence du Bénin, il est inscrit en Master (MPhil). Il suit des cours théoriques de linguistique dans trois matières avant de rédiger un mémoire de Master. A l’examen, il obtint A dans les deux premières matières et B+ dans la troisième, ce qui signifie respectivement Excellent et Très Bien. Il pouvait donc commencer la rédaction de son mémoire de Master en linguistique et le soutenir avant d’avoir la possibilité de faire une thèse de PhD.


Hors du Département, Hounkpati Capo était assidu aux sessions mensuelles du Cercle de Linguistique d’Accra. Il ne ratait aucun exposé. Il projette rapidement de prendre à son tour la parole. Quand il présente sa première communication, sur le thème « Notes on the Ewe-Gen-Aja-Fon language and its standards », l’Ecole doctorale l’informe que son inscription en Master a été « upgraded » en PhD. En d’autres termes, on lui demandait de laisser tomber le mémoire de Master qu’il s’apprêtait à écrire et de commencer directement la rédaction de sa thèse. En outre, le Département de linguistique lui confie des TP et TD comme moniteur. Voilà comment il obtient plus tard un PhD sans Master au préalable.
En novembre 1977, Hounkpati Capo descend à Cotonou et soutient son mémoire de maîtrise en linguistique devant un jury international composé du professeur ghanéen Emmanuel Mensah, examinateur, du professeur nigérian Olasope Oyelaran, examinateur, des professeurs béninois Olabiyi Babalola Joseph Yaï, rapporteur, Honorat Aguessy, président, et Georges Guédou, vice-président. Le président était le Doyen de la Faculté et le vice-président, le chef de la toute nouvelle Section d’études linguistiques et de tradition orale (SELTO).


Expériences nigérianes


Les travaux du doctorant Capo, avançant des idées innovantes sur la linguistique africaine, notamment sur les langues gbe, avaient établi sa notoriété avant même la soutenance de sa thèse de PhD en 1981 sur le thème : « A Diachronic Phonology of Gbe ». Des universités étrangères s’annoncèrent pour le recruter.
Ainsi, trois ans avant son grade de Docteur, il est recruté sur étude de dossier au Nigeria par l’Université de Benin City. Lorsqu’il y débarque en 1978, il n’avait que 25 ans environ. La dame registraire lui demande s’il avait déjà pris contact avec un groupe d’étudiants. Quand il répond par l’affirmatif, elle lui explique qu’elle craignait qu’ils le confondent avec un de leurs camarades d’amphi.


Capo quitte l’Université de Benin City pour celle d’Ilorin en 1983. L’entretien avec le jury de sélection a duré à peine deux minutes et il est retenu comme « Senior Lecturer » (Maître-Assistant). Deux ans plus tard, il devient Associate Professor (Maître de Conférences). En 1987, il est promu à la chaire de linguistique et de langues africaines. Full Professor ! C’est-à-dire Professeur Titulaire. Il occupe le poste du Chef de Département, et ce, même après son recrutement au Bénin.


D’ailleurs, en 1992, il y prononce une conférence inaugurale sur le thème : « Let us joke over it: Nigeria as a tower of Babel ». Au Nigeria, le Professeur Capo a mené une vie très intense en matière d’enseignement, de recherches et d’administration. Il a été, entre autres, Responsable de la bibliothèque départementale, Responsable des examens, responsable de la distribution et de la vente de la Revue de l’Association linguistique du Nigeria (JOLAN), Chef du centre d’examens de la Faculté des lettres, Coordinateur des programmes supérieurs (post-licence) du Département de linguistique et des langues nigérianes… Il a également présidé le Comité préparatoire chargé de l’organisation de la 4e Conférence annuelle de l’Association Linguistique du Nigeria… Le Professeur Capo maintiendra ce rythme de travail tout au long de sa carrière.


Seconde fois professeur titulaire


Après plusieurs demandes renouvelées, le Professeur Capo est enfin recruté à l’UNB en 1986. Un an avant sa promotion au grade de Full Professor. Il rentre heureux au pays mais il doit laisser ses prestigieux titres anglo-saxons à la frontière, car au Bénin, il est recruté comme Assistant. Loin de se décourager, il poursuit ses recherches tout en donnant ses enseignements et devient en 1993 le premier professeur titulaire de linguistique de l’espace CAMES.

Pour être instruit, son dossier de candidature a dû être envoyé en France, par défaut d’instructeur qualifié dans l’espace CAMES à l’époque. Le Professeur Firmin Ahoua, Président de la Société de Linguistique de l’Afrique de l’Ouest (SLAO) s’en souvient. Membre d’un jury international de soutenance de thèse, regroupant plusieurs sommités africaines de la linguistique, à l’ex-Amphi FLASH du campus universitaire d’Abomey-Calavi, le 20 juin 2019, il témoigne : « C’est lui [le Professeur Capo] qui nous a ouvert la porte au CAMES. Il était le premier docteur arrivé sans thèse d’Etat. A l’époque, il fallait une thèse d’Etat pour passer Professeur. Il a montré aux gens qu’avec une thèse de doctorat unique ou PhD, on peut être Professeur titulaire… Et il a changé tout le cours de l’histoire. »


Redevenu Professeur titulaire, Capo contribue à la création de l’Ecole Doctorale Pluridisciplinaire (EDP) de la FLASH dont il sera le directeur adjoint de 2008 à 2015 et enfin le directeur par intérim de 2015 à 2017. Mais de 2001 à son départ à la retraite, en octobre 2019, il restera le coordonnateur inamovible de la formation doctorale de Linguistique. Quelques années plus tôt, il dirige le Département des Sciences du Langage et de la Communication (DSLC) pendant six ans et occupe le poste du Secrétaire permanent par intérim du Conseil scientifique de l’UNB pendant cinq ans. Il est le Directeur scientifique du célèbre Laboratoire International Gbe, le fondateur de la non moins célèbre revue Etudes Gbe et le Président du Conseil d’Administration de l’Institut International de Recherche et de Formation (INIREF) qui célèbre, chaque 21 février, la Journée internationale de la langue maternelle. Entre autres distinctions, il est fait Officier de l’Ordre National du Bénin et de celui de la Côte d’Ivoire.


Le Professeur Capo est membre de plusieurs sociétés savantes. Il est membre fondateur de l’Académie Nationale des Sciences, Arts et Lettres du Bénin (ANSALB) et participe régulièrement aux sessions de l’Assemblée Plénière de l’Académie Africaine des Langues (ACALAN). Intéressé par un poste de directeur de programme à CASAS (Center for Avanced Studies of African Society), il dépose sa candidature. Le comité d’organisation lui répond qu’il est « overqualified » (surqualifié) pour ce poste et le coopte comme membre du jury constitué pour examiner les candidats en Afrique du Sud.


« Recteur autoproclamé »


Communiste bon teint, il travaille avec ses camarades syndicalistes pour la mise en oeuvre de la démocratisation de l’UAC. Ainsi, l’Assemblée Générale des trois composantes de la communauté universitaire de l’UAC, réunie le vendredi 14 janvier 2005, prononce la destitution du Recteur et l’élit comme Recteur Intérimaire, son installation étant planifiée pour le 27 avril 2005. Considéré comme un « Recteur autoproclamé », il réussira tout de même pendant six mois à signer des actes administratifs et à réhabiliter même des agents renvoyés injustement de la Chaire Internationale de la Physique Mathématique et Application (CIPMA) de l’UAC.


L’écriture administrative du Professeur Capo semble être empreinte d’une certaine rhétorique communiste reconnaissable à la lecture. Je l’ai souvent entendu dire que c’est moi, son assistant depuis 2011, qui essayais de tempérer parfois ses correspondances en lui demandant « pourquoi ne pas utiliser tel mot plutôt que tel autre pour adoucir le ton ? ». Et c’est vrai, cela permettait en quelque sorte de désamorcer la bombe dont le mot substituable était comme un détonateur. Néanmoins, lorsqu’il me confiait la rédaction de certains textes, sans être communiste, je me mettais un peu à sa place et essayais d’écrire ce qu’il aurait écrit lui-même et comment il l’aurait écrit.


Un jour, je me souviens, il me demanda de répondre à une correspondance du Doyen de la FLASH adressée aux directeurs de labos. Après la rédaction, je lui demandai de lire la lettre avant sa transmission au Décanat. Mais, il ne le fit point, en dépit de mon insistance. Alors, je transmis la lettre, en m’exclamant intérieurement : « alea jacta est !». Quelques jours après, le Professeur Capo m’appelle au téléphone et me dit en riant : « Docteur Zimé Yérima, le Doyen vient de m’appeler. Il a lu la lettre et il est fâché. Il m’a dit qu’il savait que je répondrais de cette façon et que nous les communistes, c’est comme ça que nous écrivons toujours… » Je ne pus m’empêcher de rire à mon tour. La situation était d’autant plus cocasse que jusque-là, il ne connaissait pas le contenu de cette fameuse lettre. Et il n’a jamais demandé à en prendre connaissance. Je compris que pour lui, les propos du Doyen étaient la preuve que la lettre était rédigée tel qu’il le souhaitait.


Il m’a semblé retrouver cette rhétorique communiste vaguement dans la conviction avec laquelle le Professeur Capo défend ses thèses, que ce soit pour soutenir l’introduction des langues nationales dans le système éducatif, à la fois comme matières et comme véhicules du savoir, que pour proposer une théorie linguistique. Je pense qu’il y a une influence mutuelle positive entre les idéaux de son parti, le Parti communiste du Bénin (PCB), et sa carrière de linguiste, d’un linguiste dont la seule distraction paraît être les questions de langues nationales. Je me souviens qu’à ses séminaires de DEA, il nous encourageait souvent à susciter la polémique. J’ai perçu dans certains de ses écrits cet art de la polémique lorsqu’il commence par exemple un article scientifique en écrivant : « Ce que tel et tel auteur ont appelé X ne s’appelle pas en réalité X mais plutôt Y… » Et s’en suit une démonstration dont les auteurs indexés reconnaissaient plus tard la pertinence.


De la gbexologie


Ce que le Professeur Capo considère comme sa principale contribution à la linguistique et à l’étude des langues est sa théorie qu’il appelle l’approche pandialectale de la description linguistique. Elle est présentée comme la « gbexologie », parce qu’elle part de problèmes liés à l’interprétation de certains faits de langues africaines notamment de l’ensemble gbe. Par conséquent, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la gbexologie, terme créé par le Professeur Dominique Bada et qui est une traduction savante de ce que le théoricien lui-même appelle gbegbo (étude du gbe), ne se limite pas à l’étude des langues gbe.
Le professeur Nick Clements de l’Université de Cornell aux Etats Unis d’Amérique commente cette théorie dans sa préface à A Comparative Phonology of Gbe (H.B.C. Capo 1991) : « L’un des principaux fruits de l’approche pandialectale à la théorie phonologique est l’occasion qu’elle donne d’examiner un groupe de langues apparentées et d’observer leurs schémas de variations à travers les mêmes conditions ou des conditions légèrement différentes. ».


De cette théorie découle la mise au point de l’Orthographe uniforme standard (OUS) que l’auteur voit comme un système orthographique devant guider la codification graphique des énoncés parlés, quel que soit le dialecte utilisé, et transcendant les barrières dialectales. Capo conçoit l’orthographique comme une branche à part entière des sciences du langage. Plus récemment, dans un chapitre de livre intitulée « Orthographics as a science : the gbexological approach » (H.B.C. Capo, 2015), sorti dans un ouvrage collectif publié par Cambridge Scholars Publishing en hommage au Professeur nigérian Oladele Awobuluyi, une autre sommité de la linguistique en Afrique, il montre que l’orthographique elle-même est une science.


Mais, ce qu’on retient souvent et simplement du Professeur Capo, c’est sa défense de l’unicité du gbe. D’ailleurs, dans un ouvrage au titre très éloquent de Renaissance du gbe, préfacé par le célèbre Professeur nigérian Ayo Bamgbose, il consacre à cette unicité tout un chapitre intitulé : « Le gbe est une langue unique ». Cet ouvrage, dont les premiers chapitres donnent une vue d’ensemble sur le gbe et l’histoire de ce glossonyme, invite les populations locutrices à réveiller leurs langues et présente le proto-gbe, l’entité linguistique gbe comme un continuum dialectal parlé dans les régions côtières des républiques du Ghana, du Togo, du Bénin et d’une partie du Nigéria, et dont les locuteurs les mieux connus sont les Ewe, les Fon, les Ajá, les Gain et les Gun. En réalité, précise le Professeur Capo « une cinquantaine de parlers ont été identifiés dont 26 au Bénin : aguna, ajá, ajlá, alada, ayizɔ, cí, defi, fon, gain, gbesi, gun, ko, maxi, movɔ́lɔ, phelá, phla, raxɛ́, sɛ, sɛtɔ, tálá, tɔfin, tɔli, tsáphɛ, wací, wéme, xevie ». L’identification de l’entité linguistique gbe est un des premiers résultats obtenu par le Labo Gbe Int.


En phonologie, il a approfondi la notion de diaphonème, unité phonologique abstraite qui identifie une correspondance entre des sons liés de deux variétés ou plus d’une langue ou d’un groupe de langues, en « staphonème », « équiphonème » et « néophonème ». Trois concepts sur lesquels il s’appuie pour proposer une orthographe commune cohérente à tout ce continuum : l’Orthographe uniforme standard du Gbe (OUSG). A un staphonème, phonème présent dans tous les dialectes avec la même description et en correspondance systématique avec lui-même, on fait correspondre un graphème. A tous les membres d’un équiphonème, ensemble de phonèmes spécifiques de dialectes en correspondance systématique d’un dialecte à l’autre, on fait correspondre également un graphème. A tous les membres d’un néophonème, ensemble de phonèmes différents d’un dialecte à l’autre et en correspondance régulière, on fait correspondre toujours un graphème. Ce travail, exposé entre autres dans son article « Questions d’orthographe en Afrique » (H.B.C. Capo, 2008) inspire Lébéné Ph. Bolouvi (1995) et l’amène à parler en lexicologie de « stalexème », « équilexème » et « néolexème ».


Dans sa préface à Précis phonologique du gbe: une perspective comparative (H.B.C. Capo, 1989), le professeur Wilhelm J. G. Möhlig de l’Université de Cologne écrit: « L’étude des langues africaines a connu deux situations inconfortables: soit un chercheur étranger, bien au parfum de la théorie la plus avancée mais avec une connaissance douteuse de la langue; soit un excellent locuteur autochtone mais avec une formation douteuse en linguistique. Avec Hounkpati B. C. Capo, nous avons une solution heureuse où un bon locuteur autochtone est doublé d’un linguiste compétent. ».


Pourtant, ce linguiste, dont la notoriété est ainsi établie, ne comptait pas faire carrière dans la linguistique au départ. « Quand j’étais en 2nde, je m’imaginais que c’est en « sociologie rurale » que j’aurais le désir d’être utile à mes frères du village », se rappelle-t-il. A l’obtention de son bac en 1970, il commence à chercher avec les aînés là où il pourrait faire la sociologie rurale quand il apprend que le pays avait désormais sa propre université même s’il n’y avait pas toutes les spécialisations comme la sociologie rurale. C’est ainsi qu’il s’inscrit au DELLSH, un Département dans lequel la linguistique était une option.
En réalité, sans le savoir, il avait toujours développé un grand intérêt pour les langues maternelles. Depuis l’enfance, il ne comprenait pas pourquoi on punissait les écoliers à l’école pour avoir parlé leurs langues et cela le révoltait. Comme ses nombreux frères et sœurs du village n’allaient pas à l’école, il animait déjà en classe de 5ème des cours du soir en français à leur intention ; mais ça ne marchait pas à son goût. « Plus je grandissais, plus je ressentais le besoin d’aider mes frères et sœurs. Dans les mouvements de jeunesse, je lisais des historiettes en ewe et cela marchait. Avec des non-scolarisés, on avait les mêmes sensations de joie et de satisfaction. »

A défaut d’être un sociologue rural, il est devenu un linguiste, mais pas moins imprégné des problèmes du milieu rural dans lequel il vit, et il arrive à atteindre le même objectif de départ qui est d’aider sa communauté. Plus tard, avant même sa maîtrise, il rédige des manuels pour initier les siens à l’apprentissage de leurs langues maternelles. Ainsi, en coauteur, il produit Kplá egbeo hlenhlen (H.B.C. Capo, & C. Koko, A., l974) et Kplá egbeo ŋɔŋlɔ (H.B.C. Capo, & C. Koko, A., l975) deux guides de lecture et d’écriture du wacígbe et du gengbe ; Vocabulaire théorique de mathématique en wacígbe et en gengbe, (H.B.C. Capo, & N. Zinzindohoue, A., l975) contenant les résultats d’une expérience de modernisation en arithmétique et en géométrie. Dans un article publié à Daho Express en 1975 (« L’alphabet au service des masses : un aspect de la responsabilité du linguiste en Afrique »), il exhorte les linguistes à ne pas perdre contact avec le peuple dont ils sont issus et à mettre leur science au service des masses populaires. Cet article, qui trahissait déjà ses idées du linguiste très engagé, rappelle son ouvrage Linguistique constructive en Afrique noire (H.B.C. Capo, 1989) publié quatre ans plus tard. Un an après la soutenance de son mémoire de maîtrise, il publie en collaboration avec la sœur A. Lokossa, un Précis grammatical du wacígbe et du gengbe (H.B.C. Capo, & A. Lokossa, A., l978). A ce rythme, il se retrouve en 1987 avec une soixantaine de publications d’une excellente facture.
Doyen d’une faculté pas comme les autres


En 2012, le Professeur Capo présente une leçon inaugurale intitulée « Sciences du langage, langues et développement durable au Bénin ». Impressionné, le Recteur Brice Sinsin décide de créer la même année une FLASH thématique à Aplahoué pour servir d’expérimentation aux idées innovantes contenues dans cette leçon.


En effet, cette nouvelle faculté prend appui sur les langues et cultures nationales pour contribuer au développement socio-économique du pays. Deux de ses Licences, à savoir la Communication en Langues Nationales et en Français et la Prise en charge des troubles de langage et d’aphasie faisaient partie des filières prioritaires de l’UAC appuyées par la Coopération belge. Deux autres licences, à savoir, Anthropologie et histoire de la connaissance et des techniques endogènes pour la standardisation et Sciences en langues nationales et en français devraient répondre particulièrement aux ambitions du communiste très engagé qu’a toujours été le Professeur Capo au point de demander l’avis du PCB avant d’accepter le poste de Doyen à lui confié. Il sera le premier Doyen de cette nouvelle faculté, jusqu’en 2015, année où il prend la direction de l’EDP. Malheureusement, cette FLASH, devenue une faculté de la toute nouvelle université de Lokossa, disparaît en 2016, avec la suppression de cette dernière conformément à une nouvelle cartographie universitaire.


« Mon objectif de départ, c’était d’arriver à faire de nos langues des langues à part entière pour que celles-ci soient utilisées dans la vie de tous les jours par les Africains sans fausse honte et de promouvoir le multilinguisme intégral. Ce n’était pas nécessairement de les opposer à autre chose », raconte-t-il. Cet objectif est-il atteint ? Certainement pas, avoue-t-il. Cependant, il estime qu’il y a eu des avancées, même si celles-ci ne viennent pas de lui. « Lorsque nous apprenons que le yoruba a été déclaré langue officielle au Brésil et dans l’Etat de Lagos ; lorsque nous voyons les réclamations incessantes pour que chaque langue nationale soit langue d’administration et langue d’enseignement, nous pouvons affirmer qu’il y a des avancées. » Il souligne enfin que les langues nationales sont plutôt des outils qui existent pour contribuer à l’émancipation des populations africaines.


Aujourd’hui à la retraite, avec un dossier de demande d’éméritat en cours d’examen, le professeur Capo médite sur son parcours et repense à ses nombreux déplacements à l’étranger : savant résident de Fulbright à l’Université Cornell aux Etats-Unis, savant du DAAD (Organisme de promotion de l’éducation supérieure allemande à l’international) à l’Université de Cologne en Allemagne ; missions de recherche dans les Universités de Cologne de Bayreuth et de Wayne State ; missions d’enseignement à Ohio State, Lomé, Kara, Ouagadougou et Libreville; conférencier invité à plusieurs séminaires, colloques et symposiums en Europe, en Amérique et en Afrique et examinateur externe au Ghana, en Suisse et en France. Il repense aussi aux nombreux travaux qu’il a dirigés dont des thèses uniques et des thèses d’Etat. Tout ça, c’est du concret.


« Je voudrais lui témoigner toute ma gratitude pour tout ce qu’il a été dans mon ascension en sciences », témoigne Dr Félicité Kossouho dont il a dirigé les mémoires de maîtrise et de DEA et la thèse de doctorat unique en description linguistique. « Grâce à lui », poursuit-elle, « je suis parvenue au doctorat et, aujourd’hui, je peux être comptée parmi les enseignants de l’UAC ».
Ses mémorants, ses doctorants et ses collègues savent qu’il travaille de façon inlassable. Quand je l’ai choisi pour diriger mon mémoire de DEA, plusieurs camarades de bonne foi me demandaient si je pouvais supporter son rythme de travail. Chaque fois qu’une telle question m’était posée, j’arborais un sourire énigmatique et je répondais de façon invariable : « Mon prénom Idrissou vient de l’arabe Idriss qui signifie « studieux » ». Cette boutade avait le mérite de couper court à toute discussion naissante.
Le Professeur Capo était connu aussi pour sa rigueur qu’on pourrait qualifier d’excessive. En fait, j’ai fini par comprendre qu’il y avait deux types de Capo : celui que ses plus anciens étudiants avaient connu, et qui était si craint qu’ils n’osaient pas s’approcher de lui pour le saluer, et celui que j’ai découvert quand j’ai commencé la rédaction de mon mémoire de DEA et qui était ouvert et bienveillant. Toutefois, cette rigueur était toujours présente, ce qui m’a incité à écrire dans les remerciements de ma thèse de linguistique dans la spécialité communication, dont il est le directeur principal, et le Pragmaticien gabonais Pamphile Mébiame-Akono, le codirecteur, ces mots : « par sa rigueur des plus sévères et sa générosité des plus altruistes, il nous a appris à mieux connaître le sens de l’oxymore, un trope traditionnel très efficace en publicité » (I. Zimé Yérima, 2014).


Dans Pouvoirs illimités, Anthony Robbins (1989) explique que l’excellence est nécessairement au rendez-vous lorsque la profession, le divertissement et l’idéologie coïncident. C’est le cas du Professeur Capo : sa profession de linguiste spécialisé en langues africaines coïncide avec sa distraction qui est d’écrire sur les langues africaines et également avec un objectif important de son parti qui est l’émancipation des langues africaines. C’est à juste titre qu’il a été consacré par l’ONG Manus France « Meilleur homme de science et de culture pour 2008-2009 ».


Œuvres citées :


BOLOUVI, L. Ph. 1995, « Pratiques langagières et ésotérisme linguistique vaudou », Annales de l’université du Bénin (Lomé, Togo), tome XV, série lettres, pp 169-205 (voir note 14, p.199).
CAPO, H.B.C. & KOKO, C., l974, Kplá egbeo henhlen (co-aut: Antoine Koko), Kóme: Commission Nationale de Linguistique.
CAPO, H.B.C.,1975, « L’alphabet au service des masses : un aspect de la responsabilité du linguiste en Afrique », Daho-Express, 3 et 6 octobre 1975.
CAPO, H.B.C. & ZINZINDOHOUÉ, N., 1975, Vocabulaire théorique de mathématique en wacígbe et en gengbe, Kóme: Commission Nationale de Linguistique.
CAPO, H.B.C. & KOKO, C.,1975, Kplá egbeo ŋɔŋlɔ, Kóme: Commission Nationale de Linguistique.
CAPO, H.B.C., 1977, Etude phonologique comparée du wacígbe et du gengbe, Mémoire de Maîtrise, UNB.
CAPO, H.B.C., 1977, « Notes on the Ewe-Gen-Aja-Fon language and its standards », Communication présentée à la Réunion de juin 1977 du Cercle Linguistique d’Accra
CAPO, H.B.C. & LOKOSSA, A., 1978, Précis grammatical du wacígbe et du gengbe, Kóme: Commission Nationale de Linguistique.
CAPO, H.B.C., 1981, A diachronic phonology of the ‘Gbe’ dialect cluster, University of Ghana (Legon), thèse de PhD.
CAPO, H.B.C., 1988., Renaissance du gbe: réflexions critiques et constructives sur l’ewe, le fon, le gen, l’aja, le gun, etc. Hamburg: Buske.
CAPO, H.B.C., 1989, Linguistique constructive en Afrique noire. Hamburg: Buske/Garome: Labo Gbe Int.
CAPO, H.B.C., 1989, Précis phonologique du gbe : une perspective comparative, Garome :
Labo Gbe Int.
CAPO, H.B.C., 1992, Let us joke over it: Nigeria as a tower of Babel, Ilorin: University of Ilorin Press & Garome: Labo Gbe Int.
CAPO, H.B.C., 2008, « Questions orthographiques en Afrique », The Journal of West African Languages (JWAL) XXXV (1-2) : 185 – 198.
CAPO, H.B.C., 2012, Sciences du langage, langues et développement durable au Bénin, Leçon inaugurale prononcée à l’UAC.
CAPO, H.B.C., 2015, « Orthographics as a science : the gbexological approach », in Current Research in African Linguistics, Papers in Honor of Oladele Awobuluyi (ed. by Olanike Ola Orie, Johnson F. Ilori and Landzemo Constantine Yuka), Cambridge Scholars Publishing, pp. 27 – 50.
ROBBINS, A., 1989, Pouvoirs illimités, Paris : Robert Laffont.
ZIME YERIMA, I., 2014, Publicité en baatɔnum dans les journaux béninois : analyses et études prospectives, thèse de doctorat unique en science du langage et de la communication, EDP, UAC.

Idrissou ZIME YERIMA

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