« Plus étroitement nous sommes surveillés, mieux nous nous comportons », disait Jeremy Bentham.

Ma curiosité pour la transparence et son rôle potentiel dans la construction d’institutions fortes a été éveillée par la lecture du livre « The making of economic policy : a transaction-cost politics perspective » d’Avinash Dixit. Plus précisément, cet économiste indien naturalisé américain, de l’Université de Princeton, indique que l’opacité ou l’asymétrie d’information peut, dans certains cas, être préférable à la transparence. La transparence, dit-il, rend l’information plus exacte et plus symétrique. A ce titre, elle réduit les coûts de transaction pour les parties prenantes d’une décision.

La transparence permet d’éviter que les politiques publiques soient capturées par des lobbies. Elle permet aux parties prenantes d’obtenir des informations qui peuvent être essentielles pour découvrir les cas de dysfonctionnement et défendre leurs intérêts. Sans publicité volontaire et sans réponse spontanée et favorable à la demande d’information par les citoyens, les autres contre-pouvoirs constitutionnels sont sans objet. Une démocratie effective ne peut exister sans des citoyens informés : ils doivent connaître les variantes d’action disponibles et les résultats possibles.

En situation d’opacité, les adversaires politiques sont mal informés ; ce qui accroît les coûts de la transition quand ces adversaires parviennent malgré tout au pouvoir. En effet, une fois parvenus au pouvoir, les opposants peuvent découvrir un budget déséquilibré et se trouver obligés de se lancer dans un rééquilibrage budgétaire austère et contraire à leurs promesses électorales. Ce problème d’incohérence temporelle détruit la crédibilité des politiques, la confiance des citoyens aux femmes et hommes politiques.

Cependant, dans certains cas, on pense que l’exigence de la transparence empire les choses en amenant certaines parties prenantes à substituer des comportements moins efficients aux comportements opaques rendus transparents et dénoncés publiquement, mais plus efficients. A titre d’exemple, supposons que, par souci de lutte contre les conflits d’intérêt, on refuse à un dirigeant public de positionner ses entreprises sur des marchés publics. Le dirigeant public chercherait à gagner par la corruption ce qu’il perd en respectant cette interdiction. Les entreprises gagnantes peuvent même réaliser un travail de mauvaise qualité sans être inquiétées par le dirigeant corrompu. Si celui-ci gagnait lui-même le marché, les coûts politiques d’un travail mal fait seraient tellement élevés qu’il choisirait d’assurer un travail de bonne qualité.

Cependant, les avantages de l’opacité sont illusoires en ce qui concerne l’intérêt général. En situation d’absence de transparence, les gouvernants sont adulés ou condamnés, qu’ils le méritent ou non. Tout échec de politique publique est une nouvelle importante.


Même si, comme le dit Justice Brandeis, « la lumière du soleil est le plus puissant des désinfectants », il ne faut pas oublier que « chacun rêve de voler et, un jour, s’approche trop près du soleil ». On peut donc être contre une transparence publique excessive. Le secret peut être nécessaire dans certains domaines ou relations : prestataire-client, docteur-patient, avocat-client, informateur-journaliste, instruction judiciaire, sécurité nationale, toute information qui peut créer la panique (crier feu dans un théâtre). Dans ces situations, une période de secret est acceptable pendant que les négociations et les instructions sont en cours, mais l’accord ou la condamnation et les arguments qui les ont soutenus doivent être publiquement révélés. Le peuple veut savoir si nos représentants ont délibéré avec toute l’expertise et l’impartialité requises.


La transparence est consubstantielle à la démocratie et à la construction d’institutions plus fortes que les hommes et les femmes qui les animent. Comme le dit Joseph Stiglitz, l’information payée par l’impôt public doit être publiquement révélée. Nous devons créer une mentalité de transparence en faisant admettre que l’information publique appartient au peuple et que la détourner à des fins privées, pour de l’argent, pour cacher les tares de sa gouvernance publique ou pour sa réélection, est un acte de corruption. Toutes les exceptions à la transparence publique doivent être soumises à la critique publique. C’est aussi cela le respect du contrat politique entre le citoyen mandant et son mandataire agent public.

Albert Honlonkou, meintoh@gmail.com

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