Ce lundi 09 juin 2025 marque la journée internationale des archives. A l’instar du monde, le Bénin célèbre lui aussi cette journée. A cette occasion, Jupiterinfo a tendu le micro à une experte du secteur archivistique au Bénin pour s’imprégner de l’état des lieux. De l’état des lieux des archives au Bénin aux perspectives, madame Irène VEGLO, ingénieure en documentation, s’est exprimée sans langue de bois. Lisez plutôt son analyse.

Q1 Présentez-vous à nos lecteurs s’il vous plait

R : Je m’appelle Irène VEGLO, je suis ingénieure en documentation , je suis la Cheffe du Service de la Documentation et des Archives à l’Agence Nationale des Transports Terrestres (ANaTT). Je suis également cheffe de projet et référent technique pour tout ce qui est activité de numérisation au niveau de l’agence. Je suis passionnée par la gouvernance de l’information et je travaille depuis plusieurs années à la structuration, à la modernisation et à la valorisation des archives au sein de l’ANaTT. Je suis aussi membre active de l’Association des Archivistes, Documentalistes et Bibliothécaires du Bénin (ADADB)et je m’implique spécialement dans tout ce qui est initiative de renforcement des capacités de promotion, de valorisation des métiers de l’information documentaire et aussi du leadership féminin dans notre secteur.

Q2- Que diriez-vous si vous devez faire l’état des lieux des archives au Bénin ?

R : Je dirais que l’état des lieux des archives au Bénin est contrasté. D’un côté, nous avons une prise de conscience croissante de l’importance des archives aussi bien dans les administrations que chez certains décideurs. On peut remarquer plusieurs efforts qui sont en cours pour mettre en place des systèmes de gestion des archives : la création du Centre National de Numérisation par exemple. Et ces actions sont soutenues par des réformes sectorielles. Je crois qu’au niveau du ministère qui couvre notre agence par exemple, le cadre de vie, il y a plusieurs réformes qui sont en cours et c’est aussi le cas de plusieurs autres administrations publiques surtout, je n’en sais pas trop du côté des privés mais je crois que dans l’administration publique, ça évolue fortement. De l’autre côté, le secteur des archives reste confronté à de nombreux défis. Nous avons le manque de politique de gestion des archives, nous avons aussi le manque d’infrastructures d’archivage, l’insuffisance de personnel qualifié et surtout la méconnaissance de la valeur stratégique des archives . Je crois que s’agissant de la méconnaissance de la valeur stratégique des archives, c’est d’ailleurs ce qui justifie tout ce que j’ai cité avant comme défis et nous avons du retard dans la transmission numérique. Beaucoup d’institutions se contentent encore de la simple numérisation sans mettre en place de véritables systèmes de gestion électronique des documents. La plupart du temps, les gens pensent qu’il suffit de numériser, qu’il suffit de scanner pour parler de digitalisation ou de numérisation ou de dématérialisation, des termes qui sont d’ailleurs souvent confondus. Malheureusement, en tant qu’archiviste, nous avons énormément de difficultés à collaborer avec les informaticiens qui la plupart pensent que numérisation, gestion électronique des documents, dématérialisation ne sont que des questions informatiques. Moi, j’ai l’habitude de dire que nous avons justement besoin que les informaticiens nous accompagnent dans le développement ou la mise en place de systèmes de gestion électronique des documents par exemple ou de systèmes de gestion électronique des archives, de numérisation et autres. Eux, ils développent les plateformes dont nous avons besoin mais c’est nous qui donnons les ingrédients pour développer et mettre en place ces différents systèmes, ça veut dire tout simplement que l’informaticien ne doit pas se constituer en archiviste . Non, c’est pas possible, c’est plutôt une franche collaboration qui doit avoir lieu entre les deux métiers.

Q3- Que peut-on retenir en termes de perspectives ?

R : En termes de perspectives, déjà, il y a une avancée remarquable au niveau du gouvernement qui a mis l’accent sur la digitalisation, je parle du Programme d’Action du Gouvernement. Ça a beaucoup boosté les pratiques . Ça oblige les administrations à se mettre au pas et je peux vous dire par exemple que nous, à l’ANaTT, à part les archives, toutes les prestations de l’ANaTT sont à 90% dématérialisées et du coup, nous avons la naissance de documents électroniques. Tout ça nous oblige à mettre en place des systèmes de Gestion Electronique des Documents. Alors, je peux dire que les perspectives sont encourageantes , si les bonnes décisions sont prises rapidement. Le contexte d’aujourd’hui pousse de plus en plus les institutions à se digitaliser et ouvre les opportunités de repositionner les archives, comme un pilier stratégique de la gouvernance. Il est aussi indispensable que chaque institution béninoise élabore sa propre politique de gestion des archives. C’est tellement important, puisque tout repose sur la politique de gestion des archives. Ça permet de mettre en place un dispositif de gestion des archives physiques comme électroniques, bien sûr de façon conforme aux normes et aux standards. Il faut également investir dans la formation continue des professionnels que nous sommes, dans la sensibilisation des autorités sur l’importance de préserver nos archives , qu’elles soient physiques ou électroniques. Il faut que nos autorités comprennent que c’est vraiment important et il faut aussi les sensibiliser dans la mise en valeur de nos archives, comme patrimoine culturel et levier de transparence. Par ailleurs, je dirais que la coopération régionale et internationale peut être un moteur pour accélérer la professionnalisation de notre secteur au Bénin, notamment par des programmes d’échanges, de certification de partage de bonnes pratiques. Moi, je viens par exemple de présenter un discours éclair , organisé par le Conseil International des Archives (ICA). J’espère que des collègues professionnelles de l’information documentaire au Bénin ont pu suivre le discours. Il y a une panoplie de communication, de discours, de webinaires qui vont être présentés au cours de la semaine, donc c’est déjà un avantage que nous puissions partager entre professionnels de l’information béninois ou pas, de bonnes pratiques. Je profite pour encourager vivement mes chers collègues archivistes au Bénin à s’inscrire et à ne pas manquer les événements organisés par l’ICA , cette année.

Q4- Quel message avez-vous à l’endroit des professionnels du secteur archivistique au Bénin ?

R : Je voudrais d’abord souhaiter une belle journée internationale des archives, une bonne semaine internationale des archives à chaque professionnel, à chaque archiviste béninois. Je voudrais profiter de votre canal pour féliciter tous ceux qui sont du secteur de l’information documentaire, je veux nommer les archivistes, les documentalistes, les bibliothécaires. Je voudrais les féliciter pour leur engagement malgré les conditions difficiles dans nos administrations. Je voudrais les encourager à continuer à se former, à se mettre à jour sur les enjeux du numérique surtout, c’est important. À faire preuve de leadership dans leurs structures respectives. J’avoue que si on n’a pas vraiment la tête sur les épaules, si on ne développe pas soi-même son leadership, ce qui se passe dans nos structures, les archives risquent d’être reléguées au second plan. Donc c’est à nous, archivistes, de lever la voix pour dire ce qu’il faut, de lever la voix pour montrer le chemin pour faire des propositions. Il ne suffit pas de parler, il faut faire des propositions concrètes, réalisables et, comme on le dit, smart. Nous devons aussi nous approprier des outils modernes, parler le langage de notre époque et être proactifs dans les processus de décision. Nous avons un rôle stratégique à jouer dans le développement des archives. Enfin, je voudrais lancer un appel à la solidarité professionnelle. Ensemble, dans des réseaux comme l’ADADB, l’ICA et l’Association des archivistes francophones, je crois le réseau Archivistes sans frontières, il y a une panoplie de réseaux dans lesquels nous sommes, à travers lesquels nous pouvons nous exprimer, nous mettre ensemble pour quand même être plus forts, lever la voix pour montrer le chemin, faire de propositions, d’accord, et de porter haut les défis et les ambitions de notre métier. L’avenir des archives béninoises dépend aussi de notre capacité collective à nous faire entendre et à montrer la valeur de ce que nous faisons. Nous devons être capables de nous convaincre de notre valeur en tant qu’archivistes avant de vouloir convaincre les autres de la valeur des archives.

La Rédaction

By Jupiter

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