À l’occasion de sa désignation comme Meilleur Archiviste d’Afrique 2025 par Archivistes Leaders, Ulrich Expedit Soglo, archiviste-documentaliste béninois, s’est confié à Jupiter Info. Dans cette interview exclusive, il revient sur son parcours, les défis de son métier et sa vision de l’avenir des archives en Afrique.

Jupiterinfo : Que ressentez-vous après avoir été désigné Meilleur Archiviste d’Afrique 2025 ?

Mr SOGLO Ulrich : C’est un sentiment mêlé de gratitude, de fierté et de responsabilité.
Gratitude d’abord, envers toutes celles et ceux qui ont cru en mon engagement. Cette distinction ne m’appartient pas à moi seul. Elle est le reflet du travail patient, souvent silencieux, que tant d’archivistes accomplissent chaque jour à travers le continent.
Fierté ensuite, en tant que fils du Bénin. Voir mon pays mis à l’honneur à l’échelle africaine me rappelle que, même à partir de nos réalités locales, nous pouvons rayonner loin, très loin, si nous restons constants, passionnés et audacieux.
Et puis, il y a la responsabilité. Ce titre m’engage. Il me pousse à aller encore plus loin dans mes actions pour la valorisation des archives africaines, la transmission intergénérationnelle de notre mémoire, et l’innovation dans nos métiers.
Recevoir cette distinction, c’est entendre une voix me dire : « Continue, l’Afrique t’écoute. »

Jupiterinfo : Vous attendiez-vous à cette reconnaissance continentale ?

Mr SOGLO Ulrich :
Je ne dirais pas que je m’y attendais, mais je savais pourquoi je travaillais. je travaille souvent avec une conviction : celle selon laquelle les archives africaines ont un rôle fondamental à jouer dans la construction de nos nations. Je n’ai jamais travaillé pour une récompense, mais toujours dans l’espoir qu’un jour, notre métier, trop souvent ignoré, serait enfin reconnu à sa juste valeur.
Alors non, je ne m’attendais pas à cette reconnaissance. Mais je savais qu’en semant avec rigueur et foi, quelque chose finirait par germer. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement ma reconnaissance personnelle, c’est celle de tout un secteur, de toute une génération de professionnels africains qui refusent que l’histoire de leur continent soit racontée sans eux.

Jupiterinfo : Quelle a été la réaction de vos proches et collaborateurs ?

Mr Ulrich SOGLO :
Leur réaction a été bouleversante. J’ai reçu des messages, des appels, des mots simples mais puissants. Certains m’ont dit : « On savait que ce jour viendrait. » D’autres ont juste écrit : « Merci de nous représenter si dignement. »
Mes proches et collaborateurs ont toujours été les premiers témoins de mes nuits blanches, de mon acharnement à défendre un métier que beaucoup considèrent comme invisible. Cette distinction, c’est aussi la leur.
Et c’est vrai, derrière ce titre, il y a une équipe, des soutiens discrets, des discussions fécondes, des collaborations très sincères.
Ce que j’ai surtout ressenti, c’est une vague d’amour. Et cela, ça n’a pas de prix.

Jupiterinfo : Pouvez-vous nous raconter votre parcours personnel et professionnel dans le domaine des archives ?

Mr Ulrich SOGLO
Je suis arrivé dans le monde des archives un peu par surprise, mais aujourd’hui, je peux dire que c’est là que toutes mes aspirations ont trouvé un sens. Mon parcours personnel et professionnel est fait de détours, de découvertes… et d’un profond attachement à la mémoire de nos peuples.
Enfant, je rêvais de devenir avocat international un rêve nourri par mon père qui ajoutait toujours « international » à tous les métiers.mais j’ai aussi un côté en moi qui aime raconter l’histoire. Plus tard, j’ai été attiré par la diplomatie, les jeux diplomatiques,les relations internationales, les politiques mondiales… Ce monde m’a fasciné jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat.
Mais c’est à l’École Nationale d’Administration et de Magistrature du Bénin, où j’ai été orienté comme boursier en science et technique de l’information documentaire, que tout a basculé. Je découvrais alors un univers que je ne connaissais pas, mais qui m’a tout de suite passionné. J’ai compris que j’étais en train d’embrasser une filière qui réunissait toutes celles que j’aimais auparavant.

Un juriste sans archives perd ses combats.
Un avocat sans preuve n’a pas de défense.
Un diplomate sans mémoire documentaire négocie à l’aveugle.
Et en géopolitique, des territoires entiers ont été perdus par absence de preuves archivées.

L’Histoire elle-même a basculé à cause de documents manipulés ou détruits. C’est là que j’ai compris : les archives sont la mémoire juridique, politique, diplomatique, culturelle et sociale. C’est sur elles que reposent les grands équilibres du monde.

Depuis ce déclic, j’ai multiplié les engagements. J’ai travaillé avec des collègues du Mali, du Togo, de Djibouti et du Sénégal sur la sauvegarde du patrimoine documentaire scolaire en péril. En 2024, j’ai développé un portail numérique pour le recensement des archives du patrimoine national du Bénin, dans le cadre de mon master en Humanités Numériques. Ce projet m’a permis de proposer des outils de valorisation numérique pour reconnecter les archives coloniales africaines à leurs peuples.
Aujourd’hui, je suis responsable du département Archives et Bibliothèques du Réseau des Experts du Patrimoine Culturel Africain pour le développement (REPCAD) où nous faisions des actions tous les jours pour sauvegarder le patrimoine documentaire de l’Afrique, et je travaille à la bibliothèque CAEB/Fondation Vallet de la Faculté des Sciences Médicales de l’Université de Parakou.
Chaque jour, je mesure l’importance de faire vivre la mémoire africaine, pour qu’elle éclaire nos choix, nos décisions, nos luttes et nos rêves.

Jupiterinfo : Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce métier souvent discret mais essentiel ?

Mr Ulrich SOGLO : Comme je l’ai dit,au départ, je n’avais pas choisi les archives. J’ai été classé boursier dans ce domaine.
Mais aujourd’hui, si je devais refaire un choix moi même, je rechoisirais les archives, sans hésiter.

J’ai compris qu’elles sont bien plus qu’un métier discret : elles sont la colonne vertébrale de la justice, de la vérité, de la mémoire collective.
Un juriste, un historien, un diplomate, un scientifique… tous ont besoin d’archives pour fonder, prouver, comprendre, transmettre. C’est la mère des sciences en vrai.

Ce qui m’a attiré, c’est leur pouvoir silencieux. Loin du bruit, les archives gardent ce qui compte. Elles éclairent le passé, elles protègent les droits, elles donnent des repères dans un monde en perte de mémoire. Elles aide les décideurs à prendre de meilleures décisions.

Et dans le contexte africain, travailler dans les archives, c’est aussi un acte de résistance et de reconstruction. C’est militer pour que nos histoires ne soient plus oubliées, ni racontées à notre place.
Ce métier est peut-être discret, mais il est d’une noblesse immense. Et je suis fier de le servir.

Jupiterinfo : Quels ont été les moments les plus marquants de votre carrière jusqu’à aujourd’hui ?

Mr Ulrich SOGLO :
Plusieurs moments ont profondément marqué mon parcours.
D’abord, ma découverte du métier d’archiviste à l’École Nationale d’Administration : un choc intellectuel. C’est là que j’ai compris que j’avais mis les pieds dans un univers immense, discret, mais vital.
Ensuite, mon engagement pour la sauvegarde du patrimoine documentaire scolaire en péril, aux côtés de collègues du Mali, du Togo, de Djibouti ou encore du Sénégal. Ce travail a révélé à quel point la mémoire éducative africaine est en danger.
Mais l’un des tournants majeurs reste la création du portail numérique de recensement des archives coloniales du Bénin, dans le cadre de mon master en Humanités Numériques. Concevoir cet outil pour tenter de reconnecter les archives africaines à leurs peuples a été une fierté.
Et bien sûr, cette distinction comme acte de reconnaissance. Ce n’est pas une consécration, mais un appel à servir encore plus grand, plus haut, et plus juste.

Jupiterinfo : Selon vous, pourquoi les archives sont-elles si cruciales pour l’avenir de l’Afrique ?

Mr Ulrich SOGLO :
Parce qu’un continent sans mémoire est un continent sans souveraineté.
Les archives ne sont pas de simples documents. Ce sont des preuves, des repères, des racines, des outils de justice, de diplomatie, de développement.
Sans elles, nous perdons nos terres, nos droits, notre histoire, et parfois même notre identité.
Elles sont cruciales pour écrire notre propre récit, pour corriger les fractures du passé, pour défendre nos intérêts dans les négociations internationales, et pour transmettre une mémoire digne aux générations futures. Elles permettent aux gouvernants de prendre des décisions.

En Afrique, la bataille pour les archives est aussi une bataille pour la vérité, la réparation et la reconstruction. Ce n’est pas un luxe, c’est une urgence.
Et je crois que le renouveau de l’Afrique passera par la valorisation de sa mémoire.

Jupiterinfo ; Pourquoi tant de lacunes selon vous ?

Mr Ulrich SOGLO :
La question elle-même en dit long : si l’on parle de lacunes, c’est bien que les archives africaines ne sont pas encore suffisamment valorisées. Et ce constat est malheureusement évident.
Ces lacunes sont d’abord historiques : nos systèmes archivistiques sont souvent le fruit d’une transposition coloniale, sans adaptation réelle à nos contextes culturels, sociaux et linguistiques. Nous avons hérité d’outils, mais pas toujours des clés pour les faire fonctionner selon nos réalités.
Ensuite, elles sont institutionnelles : dans beaucoup de pays africains, les archives ne bénéficient ni de politiques claires, ni de budgets suffisants, ni même d’un cadre de gouvernance moderne. Ce manque de volonté ralentit tout.
Il y a aussi une fracture technologique : le numérique avance, mais beaucoup de nos structures restent mal équipées, mal formées, déconnectées. Cela empêche toute innovation durable et rend difficile la conservation comme l’accessibilité des fonds.
Et au-delà de l’État, il faut aussi reconnaître un manque de culture archivistique dans la société : on ne sensibilise pas assez les citoyens à l’importance de la mémoire. Et tant que la mémoire est perçue comme un luxe, elle sera toujours négligée.
Enfin, certaines lacunes sont volontaires. Les archives dérangent parfois : elles révèlent, elles prouvent, elles remettent en cause. Et cela peut déranger des intérêts politiques, économiques ou même historiques.
Mais ces vides ces vacuums ne sont pas des fatalités. Ils sont les lieux où l’on peut semer une révolution documentaire africaine. Il suffit d’y croire, de se former, de s’unir, et d’agir.

Jupiterinfo : Quelles innovations aimeriez-vous voir émerger dans la gestion documentaire en Afrique ?

Mr Ulrich SOGLO : Je souhaite voir émerger une gestion documentaire africaine modernisée, avec des outils numériques conçus pour nos réalités, comme des applications mobiles adaptées et des plateformes numériques accessibles à tous.
L’intégration des technologies émergentes intelligence artificielle, blockchain est aussi essentielle pour garantir la sécurité, la traçabilité et la valorisation de nos archives.chose que je souhaite contribuer à faire.
Enfin, j’aimerais que les communautés soient impliquées dans la collecte et la préservation de leur mémoire, pour faire des archives un patrimoine vivant et partagé.

Jupiterinfo : Quels sont selon vous, les grands défis du métier d’archiviste aujourd’hui au Bénin et en Afrique ?

Mr Ulrich SOGLO :
Le métier d’archiviste en Afrique fait face à plusieurs défis majeurs. D’abord, il y a un manque de reconnaissance institutionnelle : beaucoup d’administrations ne perçoivent pas encore l’archiviste comme un partenaire clé dans la gestion documentaire. Il est urgent que ce rôle évolue, et que l’archiviste soit présent dès la création des documents pour accompagner, former et structurer les bonnes pratiques dans chaque bureau.
Ensuite, la modernisation des infrastructures est indispensable. Nos archives souffrent d’un déficit d’équipements adaptés, et la transition numérique reste partielle et parfois désorganisée.
Enfin, il y a un enjeu culturel fort : sensibiliser les décideurs et le grand public à l’importance stratégique des archives, non seulement pour préserver la mémoire, mais aussi pour garantir transparence, justice et développement.

Jupiterinfo : Voyez-vous une évolution positive du secteur dans les prochaines années ?

Mr Ulrich SOGLO :
Je reste optimiste. Le secteur des archives en Afrique, y compris au Bénin, est en pleine mutation.

Les initiatives de numérisation, les projets de portails panafricains, et la prise de conscience croissante de la valeur des archives sont autant de signes encourageants.

La formation de jeunes archivistes dynamiques, ouverts aux nouvelles technologies, est aussi un moteur d’innovation.

Avec davantage d’investissement politique, de coopération régionale, et un engagement collectif, je suis convaincu que le métier d’archiviste prendra la place qu’il mérite : celle d’un acteur central de la gouvernance, de la mémoire et du développement du continent

Jupiterinfo : Vous incarnez une nouvelle génération d’intellectuels africains. Quel message aimeriez-vous adresser à la jeunesse béninoise et africaine qui hésitent à s’engager dans ce métier ?

Mr Ulrich SOGLO :
S’engager dans les archives, c’est devenir gardien de la mémoire de notre continent, acteur du développement et bâtisseur d’une Afrique souveraine.
Soyez fiers, soyez audacieux, et osez faire vivre notre histoire !

Aoulath OSSENI

By Jupiter

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