Dans la société africaine, le respect des aînés est une valeur fondamentale. Ne pas « marcher sur la langue » de son aîné, ne pas le contredire, font partie des règles qu’on ne transgresse pas. Mais ces principes, en apparence sages, n’empêchent-ils pas la discussion, le dialogue, la communication au sein même de la famille ? Pour mieux comprendre ce fait social toujours d’actualité, nous avons donné la parole à des parents, enseignants et spécialistes.

« Un vieillard assis voit plus loin qu’un jeune homme debout ».
Ce proverbe africain illustre à lui seul l’importance accordée aux aînés. Avec l’âge viennent l’expérience, la sagesse, le droit de parler. Dès lors, il est mal vu parfois même interdit, en Afrique, en particulier au Bénin, qu’un enfant contredise son aîné ou remette en cause sa parole.

L’interdiction de contredire l’aîné autrefois

Paul Sossa, octogénaire, partage son vécu. « Cette règle ne date pas d’aujourd’hui ! Du temps de nos anciens, les hommes étaient les chefs, les femmes n’avaient pas le droit de parler, les enfants encore moins. Dans la famille, il y avait une hiérarchie. Le respect venait du droit d’aînesse. On ne répliquait pas à son aîné, on ne le fixait pas dans les yeux. Quand tu le voyais venir, tu enlevais ton chapeau pour le saluer, parce qu’il avait connu ce monde avant toi. » Mais, « Aujourd’hui, tout a changé. La femme parle quand son mari parle. Sacrilège ! Et les enfants ? N’en parlons pas ! Tu dis un mot, ils en sortent trois. Ils parlent de modernité… Que leur douce folie ne les perde pas ! », ajoute Paul Sossa, le visage inexpressif.

Constantine, mère de trois enfants, de son côté aussi nuance : « J’ai grandi au village, et on m’a appris que l’aîné est l’être supérieur. Mais aujourd’hui, j’ai mes enfants, le monde a changé, et je ne peux pas leur imposer cette éducation. Je m’amuse avec eux, on se taquine… et je crois que c’est ça qui nourrit nos liens. »

Pour Anselme Houetchenou, enseignant au primaire, les avis sont partagés. « À l’époque de nos grands-parents, contredire un aîné était inimaginable. Cela pouvait entraîner de lourdes conséquences. C’était la norme. Les jeunes ne parlaient pas, ne décidaient de rien. Mais les choses ont changé. Nous avons connu l’école, nos enfants y vont. La connaissance n’est plus le monopole des anciens. On peut apprendre des jeunes aussi. On les laisse donc parler, même si on tente de garder un certain contrôle. Avant, les aînés géraient tout, parce qu’ils étaient censés être plus expérimentés. Mais aujourd’hui, l’âge n’est plus qu’un chiffre. Ce qui prime souvent, c’est la connaissance et le matériel. On dit aussi que la sagesse n’est plus forcément liée à la vieillesse. « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». »

Les conséquences pour l’enfant

Mickaël Boko, spécialiste des sciences de l’éducation, apporte un éclairage plus psychologique . « Selon la morale africaine, un enfant ne doit pas contredire un aîné. Mais cette règle tue la communication et peut causer des traumatismes. Un enfant qui ne s’exprime pas devient un adulte renfermé, incapable de se faire entendre en société. » « Il faut que les enfants puissent parler, donner leur avis. Mais cela doit être encadré. On ne doit pas bannir la parole de l’enfant à cause de cette règle, comme un symbole autour du cou. Contredire un aîné ne doit pas être vu systématiquement comme un manque de respect, » conseille le spécialiste.

Rodrigue Hounkposso, socio-anthropologue et coach en développement personnel, va dans le même sens. Il revient d’abord sur les origines de cette règle en disant que « chez nous, l’aîné est détenteur du savoir, de l’autorité. Le contredire, c’est défier l’ordre établi. Mais cette règle, dans le contexte d’aujourd’hui, empêche un véritable dialogue familial. Le dialogue, ce n’est pas un monologue. C’est un échange où chacun peut parler, être écouté et compris. Interdire à l’enfant de poser des questions, c’est l’empêcher de penser par lui-même. On crée alors des familles où les enfants obéissent mais n’osent pas parler. Où les malentendus s’accumulent. Où l’autorité étouffe l’écoute. »

C’est justement ce que témoigne Albertine(nom d’emprunt), la vingtaine, benjamine d’une fratrie de sept enfants. « Je n’ai jamais eu droit à la parole. Je subissais les réprimandes sans pouvoir m’expliquer. Mon aîné a vingt ans de plus que moi. J’avais tellement peur que je ne pouvais pas m’affirmer. Aujourd’hui, je suis renfermée. J’ai du mal à parler en public, » a-t-elle affirmé.

Pour mettre fin à cela, Rodrigue Hounkposso propose d’apprendre à un enfant à respecter ses aînés tout en lui permettant d’exprimer ses idées, ses émotions, ses désaccords. «Le respect est mutuel. Il ne se construit pas dans le silence mais dans la confiance. Une famille qui dialogue est une famille vivante, » précise-t-il.

Huguette Hontongnon

By Jupiter

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