Dans la bande sahélo-saharienne, une région qui s’étend de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique centrale, certains endroits sont dorénavant occupés par des hommes armés. Confrontés à un fort déploiement du terrorisme djihadiste, à l’insécurité, mais aussi à l’instabilité politique et économique, ces zones, sont caractérisé par un faible accès à Internet, car on y trouve des coins de territoire non couverts par les infrastructures de communication terrestres. Cette situation représente une opportunité exceptionnelle pour Starlink, le service Internet par satellite d’Elon Musk. Dans cette région en proie à une crise sécuritaire sans précédent, la technologie du milliardaire d’origine sud-africaine est de plus en plus utilisée par les populations civiles, mais également par les groupes armés qui y sont très actifs.
Utilisation de l’Internet satellitaire à des fins terroristes
Ces dernières années, la disponibilité d’Internet dans des zones occupées par des hommes armés qui tentent d’imposer leurs dictats, permet à ces derniers de diffuser de nombreux éléments de propagande via X, Facebook, TikTok et d’autres plateformes en ligne. De fait, certains groupes terroristes se servent d’Internet afin de promouvoir leurs idéologies, ou encore dans le but de proférer des menaces ou de renforcer leurs capacités opérationnelles.
En Afrique où le taux de pénétration d’Internet reste inférieur (43 %) à la moyenne mondiale (68 %), un véritable marché noir prospère ainsi grâce à la force des réseaux Starlink. Des kits Starlink sont ainsi vendus et se retrouvent parfois dans des régions très reculées ou inaccessibles au grand public. Parmi les facteurs qui facilitent la vente frauduleuse des kits Starlink, il faut citer le fait que ces kits soient faciles à transporter. Dans certains pays où l’utilisation de Starlink est approuvée, des revendeurs locaux font préalablement enregistrer ces appareils pour ensuite les expédier à l’étranger dans des zones insoupçonnées.

Cette chaîne d’approvisionnement illicite permet ainsi aux groupes extrémistes, notamment le Jama’at Nasr al Islam wal Muslimin et la Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest de coordonner leurs activités dans des endroits où l’accès à Internet classique est inexistant.
À titre d’exemple, le groupe Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest s’appuie sur l’internet par satellite pour communiquer avec le groupe djihadiste d’idéologie salafiste État islamique et d’autres organisations extrémistes dans la région. Le réseau Internet par satellite permet à ces groupes armés non seulement de diffuser de la propagande, notamment en publiant des messages directement sur les médias sociaux et sur certains sites web. Dès lors , ces groupes extrémistes bénéficient d’un certain nombre davantage. Tout d’abord, ils parviennent à tirer parti de l’anonymisation sur Internet. Ensuite, en se passant de la barrière spatiale, ils profitent largement de la non-réglementation des publications en ligne.Dans cette partie de l’Afrique, les forces de sécurité gouvernementales signalent par ailleurs que l’utilisation de Starlink pour les communications sécurisées rend plus difficile l’interception des plans des groupes armés.
Quand Elon Musk tente de bloquer une loi sur la haine en ligne
Or, le réseau social X, propriété de Musk a récemment intenté une action en justice contre l’État de New York, dans le but de contester une loi qui régule les contenus des plateformes.Dans sa plainte, la société X Corp, estime que la loi, promulguée fin 2024 et qui oblige les entreprises de réseaux sociaux à révéler des informations sensibles sur la manière dont elles modèrent les discours de haine et la désinformation, porte atteinte à la liberté d’expression. Malgré l’usage que certains groupes armés font de Starlink au Sahel et dans les pays du golfe de Guinée, on peut en déduire que Musk n’hésitera pas à combattre toute législation qui obligerait les plateformes à dévoiler leurs coulisses, notamment sur la gestion des discours haineux et la désinformation dans cette vaste zone. En guise de réponse à l’utilisation du système d’Internet du milliardaire excentrique, par ces groupes rebelles, des pays de la région ont été contraints d’introduire certaines restrictions aux communications satellitaires. Il s’agit entre autres de la Libye et du Soudan. Le Tchad, le Mali et le Nigéria ont emboîté le pas aux deux autres, car ils sont particulièrement touchés par l’utilisation clandestine de Starlink par des acteurs criminels et violents. Des vidéos circulant fréquemment sur les réseaux sociaux montrent des groupes extrémistes et violents qui utilisent des kits Starlink dans différentes régions.
Ce que les vidéos de djihadistes révèlent de leurs prises de guerre et méthodes
Dans la guerre qu’il mène au Sahel, le Jamaat Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) , a publié certaines vidéos en ligne. Ces vidéos montrent comment certaines branches terroristes se déchirent entre elles. De plus, ces images montrent également le butin de guerre que certaines branches terroristes parviennent à arracher chez des groupes rivaux. Le visionnage de ces vidéos révèle par exemple la présence de kits Starlink que le JNIM a pu saisir chez l’État Islamique au Sahel.
Cette organisation terroriste est particulièrement active dans la zone des trois frontières à savoir le sud-ouest du Niger, le sud-est du Mali, et le nord du Burkina Faso. Comme le montre de nombreuses vidéos de décapitations qu’il poste en ligne grâce à Starlink, l’État islamique a une prédilection pour la violence graphique extrême. Pour l’État Islamique au Sahel, le recours aux vidéos en ligne représente un moyen de communication puissant qui peut atteindre un large public et générer des réactions fortes.À travers les vidéos qu’ils postent en ligne, Al-Qaïda et ses mouvements affiliés cherchent par contre à gagner le soutien des populations locales qui ont perdu confiance en leurs gouvernements ou envers les forces de l’ordre. Grâce à l’Internet de Starlink, les contenus diffusés par Al-Qaïda et ses mouvements associés, exploitent également les griefs régionaux et ethniques afin d’être plus convaincants. Qu’il s’agisse de vidéos courtes, de vidéos explicatives, ou de confessions en direction du grand public, les possibilités qui s’offrent à ses groupes armés sont infinies. Sur les réseaux sociaux, les vidéos courtes de ces groupes de combattants sont converties sous des formats engageants comme les reels, shorts, lives et stories. Ces différents formats permettent de capter l’attention des internautes, ce qui permet de maximiser leur visibilité de façon naturelle. En général, il peut arriver que ces vidéos courtes génèrent un engagement plus élevé que les autres formats vidéos. Cette situation incite parfois les algorithmes de YouTube, X, Facebook, Instagram, et TikTok à leur donner une plus grande visibilité dans les fils d’actualité et les suggestions de contenu. C’est ainsi que ces vidéos parviennent à influencer idéologiquement de nombreuses populations. Toutefois, il arrive aussi que les groupes armés fassent usage de la force pour atteindre cet objectif ou en mettant en avant des avantages économiques dont bénéficient leurs membres. Toutefois, il arrive aussi que les groupes armés fassent usage de la force pour atteindre cet objectif ou en mettant en avant des avantages économiques dont bénéficient leurs membres.
La vague Starlink et les multiples circuits d’approvisionnement au Sahel
L’année dernière, les autorités maliennes avaient indiqué, s’être rendu compte de l’emploi sans autorisation des kits Starlink dans les zones du nord et de l’est du pays. Ces deux régions sont particulièrement en proie aux activités des groupes séparatistes et jihadistes.
Fin juillet 2024, le réseau Starlink a joué un important rôle, lors de la bataille de trois jours à Tinzaouaten. Lors de cette bataille qui a opposé, les Forces Armées Maliennes et les mercenaires de Wagner à l’ alliance des groupes armés majoritairement touaregs qui opèrent au nord du Mali, les rebelles ont utilisé Starlink pour maintenir une communication sécurisée entre leurs unités d’une part. D’autre part, Starlink a également permis de diffuser les dernières actualités sur les réseaux sociaux, amplifiant ainsi les efforts de communication de cette coalition de groupes rebelles séparatistes du Mali. Le matériel de Starlink arrive donc à se retrouver dans des profondeurs du territoire Malien où, son utilité n’est plus à démontrer dans les conflits armés. Toujours dans la même période, les soldats nigérians ont également mis la main sur un terminal Starlink lors d’un raid de l’armée dans la forêt de Sambisa, une localité du nord-est du pays. Lors de l’acheminement du matériel, Les kits Starlink sont souvent stockés dans des entrepôts ou dans des complexes résidentiels avant d’être envoyés vers d’autres destinations dans le but de brouiller les pistes. Les kits Starlink se composent de petits éléments à savoir la parabole, une alimentation électrique, des câbles, une base et un routeur Wi-Fi. Pour éviter d’être détectés, les trafiquants démontent les kits afin de les dissimuler plus aisément. Une fois que les kits sont démontés, ils sont ensuite mélangés à des marchandises telles que des produits agricoles ce qui ne permet pas toujours aux douaniers de les détecter lors des passages aux postes de frontières. Afin d’éviter les contrôles douaniers, il arrive également que le transport des kits Starlink s’organise après la tombée de la nuit. Au coucher du soleil , il devient plus aisé aux trafiquants d’utiliser des routes secondaires, des pistes non asphaltées ou de préférer l’usage des motos plutôt que des voitures afin de se déplacer plus rapidement. Souvent, les trafiquants en profitent pour garder le contrôle des comptes de leurs clients. À travers cette manœuvre, ils peuvent ainsi passer par des intermédiaires qui les aident à collecter les paiements liés aux abonnements de ces derniers.
Les intermédiaires jouent ici un rôle clé, car parmi les clients finaux, beaucoup ne disposent pas de compte bancaire. Les trafiquants exploitent donc le faible taux de pénétration bancaire dans des pays comme le Burkina Faso, Mali, et le Niger pour générer un flux continu de revenus illicites.Ces opérations permettent ensuite aux trafiquants de tirer profit des frais d’abonnement liés au fonctionnement de Starlink. Pour continuer de fonctionner, les kits Starlink génèrent un coût mensuel par abonnement qui varie selon les pays et les forfaits. Au Bénin par exemple, le forfait mensuel est d’environ 30 000 FCFA. Au Niger, par contre l’abonnement mensuel est de 32 000 francs CFA. Il s’agit d’une somme importante, car selon l’Union Internationale des Télécommunications, le prix d’un abonnement internet d’entrée de gamme ne devrait pas dépasser plus de 2 % du revenu mensuel moyen dans un pays. Dans l’ensemble du Sahel, la prolifération des équipements Starlink met en évidence la manière dont un entrepreneur comme Elon Musk a remodelé de fond en comble, les dynamiques socio-économiques dans une zone historiquement défavorisée sur le plan technologique.
Ces dernières années, la diffusion d’Internet par satellite aide à mieux appréhender les enjeux qui gouvernent des endroits comme le Sahel, qui regorge d’importantes richesses naturelles et énergétiques. Entre l’ambition de certains acteurs, de générer une économie de l’espace et les nombreuses potentialités de ce vivier économique et humain sous-estimé, que constitue le Sahel, les terroristes continuent de surfer sur Internet, et de faire usage de moyens de transactions financières en ligne.Dans pareil contexte, la donnée spatiale pourrait favoriser l’émergence de nouveaux protagonistes particulièrement redoutables. Au nombre des joueurs qui se démarquent, la force de pénétration du réseau Starlink, montre qu’il faudra désormais composer avec Elon Musk.
Dr Qemal Affagnon