Les totems, sont des symboles ancestraux qui structurent les sociétés traditionnelles africaines. Ils sont plus que jamais pertinents dans notre monde contemporain. Le socio-anthropologue Rodrigue Hounkposso revient sur leurs origines, fonctions et défis dans un monde de plus en plus modernisé.
QJ:Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un totem et son importance dans les sociétés traditionnelles ?
SA: Le totem est un symbole, souvent représenté par un animal, une plante ou un élément naturel, qui sert de référence identitaire, spirituelle et sociale à un individu, une famille, un clan ou un groupe.
Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, notamment en Afrique ,le totem est perçu comme un être protecteur ou un ancêtre mythique. Sa fonction ne se limite pas à la croyance : il structure les liens sociaux, guide les comportements, interdit certaines pratiques (comme manger un animal totem), et rappelle les origines d’un groupe. Il est souvent lié à la cosmologie du peuple et à sa vision du monde. À titre illustratif, pour les natifs de Ouidah, le serpent n’est pas seulement un reptile mais aussi un ancêtre mythique, protecteur…Dans ce cas, le serpent est un totem.
QJ:Quels sont les différents types de totems que l’on peut rencontrer dans les cultures du monde ?
SA:On peut rencontrer différents totems dans les cultures du monde. On en distingue plusieurs :
- Totems animaux (lion, serpent, léopard, crocodile…) : très fréquents, car les animaux incarnent des qualités (force, ruse, agilité…).
- Totems végétaux (baobab, iroko, figuier, …) : liés à la longévité, la sagesse ou la fertilité.
- Totems éléments naturels (l’eau, la foudre, le soleil, la lune, la montagne…) : symbolisent des puissances invisibles.
- Totems objets ou phénomènes particuliers (arc-en-ciel, pierres sacrées…).
Chaque type exprime une dimension du rapport de l’homme avec la nature, le sacré et la mémoire collective
QJ:Quels sont les rôles et les fonctions des totems dans les sociétés traditionnelles ?
SA:Les totems ont plusieurs fonctions.
- Identitaire : ils différencient les clans ou les lignées. Ils répondent à la question « d’où venons-nous ? ».
- Protectrice : le totem est souvent vu comme un esprit bienveillant ou une entité protectrice qui veille sur le groupe.
- Spirituelle : il crée un lien avec les ancêtres ou le monde invisible. On lui rend hommages, on évite de le blesser.
- Sociale : il régule les mariages (exogamie), les interactions entre groupes, et renforce les règles collectives.
- Pédagogique : le totem est aussi un vecteur de transmission de valeurs, d’histoire, et de comportements à adopter.

Le totem, marqueur d’identité individuelle et collective
QJ: Quels sont les symboles et les significations associés aux totems ?
SA:Les totems ont toujours une signification.
- Le lion : courage, royauté, autorité.
- Le serpent : sagesse, renaissance, pouvoir mystique.
- Le crocodile : protection féroce, maîtrise du temps.
- Le baobab : enracinement, mémoire ancestrale.
QJ: Comment les totems contribuent-ils à la construction de l’identité individuelle et collective ?
SA:Le totem est un repère existentiel. Il donne au porteur un sentiment d’appartenance à une lignée, une mission dans la vie, une responsabilité spirituelle.
Pour le groupe, il crée une mémoire commune, renforce la solidarité et nourrit l’unité. Il est comme un miroir de l’âme collective.
QJ:Quels sont les liens entre les totems et les clans, les familles ou les groupes sociaux ?
SA:Les totems sont souvent transmis par filiation (patrilinéaire ou matrilinéaire). Ils définissent l’appartenance à un clan ou à une lignée, et régulent les comportements au sein du groupe.
On ne peut pas épouser une personne ayant le même totem dans certaines sociétés. Cela structure profondément l’organisation sociale et les règles relationnelles.
QJ:Comment les totems influencent-ils les relations sociales et les interactions ?
SA: Le totem peut favoriser l’harmonie entre membres du même groupe, en rappelant leur origine commune. Il peut aussi délimiter les interdits sociaux : certaines alliances sont interdites, d’autres encouragées. Il influence aussi les rapports avec la nature, car le respect du totem implique souvent la protection de l’espèce ou de l’élément concerné.
Modernité, oubli et renaissance : les totems à l’épreuve du temps
QJ: Comment les totems ont-ils évolué sous l’effet de la colonisation, de la modernisation et de la globalisation ?
SA: La colonisation a souvent dévalorisé les traditions totémiques, les assimilant à de la superstition. La modernisation et la mondialisation ont poussé vers l’abandon ou l’occultation de ces pratiques, surtout en milieu urbain.
Toutefois, on observe aujourd’hui un retour d’intérêt : de nombreux jeunes redécouvrent leur totem comme une clé identitaire ou un marqueur culturel. Les totems évoluent donc : moins visibles, mais toujours présents dans les consciences.
QJ:Quels sont les défis et les opportunités liés à la préservation des traditions totémiques ?
SA: Les défis sont nombreux : disparition des détenteurs du savoir, pression des religions dominantes, urbanisation, rupture de la transmission intergénérationnelle. Mais il existe aussi des opportunités : revalorisation du patrimoine culturel, recherche identitaire des jeunes, projets éducatifs et muséaux, numérisation des savoirs. Il est urgent d’agir pour documenter, enseigner et partager ces richesses.
QJ:Comment les totems peuvent-ils promouvoir la diversité culturelle et le dialogue interculturel ?
SA: Les totems sont une porte d’entrée vers la compréhension des visions du monde non occidentales. Ils montrent que chaque culture a ses propres façons de lier l’homme à la nature et au sacré. Valoriser les totems, c’est reconnaître la pluralité des identités humaines. Cela peut nourrir des échanges interculturels riches, respectueux et constructifs.
Les totems sont plus que des symboles, ils sont des clés pour comprendre les cultures et les traditions qui nous ont précédés. En les valorisant et en les préservant, nous pouvons enrichir notre patrimoine culturel et promouvoir la diversité.
Huguette Hontongnon